Megaupload - "Ce genre de pratiques est digne de pays totalitaires"
Pour Jérémie Zimmermann, un des fondateurs de la Quadrature du Net, les libertés sur la Toile sont gravement menacées.
Le 18 janvier dernier, les New-Yorkais se sont insurgés contre le projet de loi SOPA, considéré comme une disposition liberticide. © Stan Honda / AFP
Par Alexandre Ferret pour LePoint
Jérémie Zimmermann est l'un des fondateurs de la Quadrature du Net, collectif militant pour la liberté du Net. Selon lui le retrait du site Megaupload de la Toile n'est qu'une première étape dans la censure généralisée que risque de connaître l'Internet. L'ingénieur en technologies collaboratives redoute notamment les projets de lois américains SOPA et PIPA. Mais aussi leur pendant européen, l'ACTA.
Le Point.fr : SOPA, PIPA, Acta... En quoi consistent ces mesures ?
Jérémie Zimmermann : À l'exception d'un détail mineur, SOPA (Stop Online Piracy Act) et PIPA (Protect IP Act) sont très similaires. L'idée de ces deux projets de loi est de faire peser sur les intermédiaires de l'Internet - fournisseurs d'accès et d'hébergement - la responsabilité de mesures liberticides prises au nom du droit d'auteur. Et pour l'Acta (Anti-Counterfeiting Trade Agreement, soit un accord anti-contrefaçon), c'est exactement la même chose à l'échelle de l'Europe.
Que risque-t-il de se passer concrètement ?
Ces projets prévoient d'effacer de la Toile tous les sites qui diffusent des contenus protégés. Les sites suspectés pourraient alors se voir bloqués d'accès ou forcés de retirer les contenus incriminés. Il y aurait alors une pression exercée sur les fournisseurs d'accès à Internet et sur les hébergeurs. Et ce, à différents niveaux. Par exemple, les sites en question pourraient être déréférencés des moteurs de recherche, c'est-à-dire qu'ils deviendraient tout bonnement introuvables sur la Toile. Il est aussi prévu de bloquer leurs ressources financières en s'attaquant aux comptes PayPal et Mastercard comme cela a été fait pour WikiLeaks. Les moyens mis en oeuvre sont colossaux et disproportionnés. C'est comme utiliser une bombe nucléaire pour tuer des mouches ! Et tout cela pour répondre aux desiderata de l'industrie du divertissement.
Lutter contre le piratage est-il à ce point scandaleux ?
C'est de la censure. SOPA, PIPA et ACTA sont absolument contraires à l'idée d'un Internet libre auquel un État de droit doit prétendre. Regardez quand le FBI s'en prend à Megaupload. Certaines activités de Megaupload sont évidemment illicites, mais le site ne faisait pas que cela. Je connais plein de personnes qui utilisaient Megaupload pour diffuser des logiciels ou des fichiers libres de droits. Et ça, c'est totalement licite ! Ce genre de pratiques est digne des régimes autoritaires. Et ensuite on voit Hillary Clinton, la secrétaire d'État américaine, se rendre en Chine et dire : "Il ne faut pas censurer." C'est de l'hypocrisie totale.
À quoi faut-il s'attendre à l'avenir ?
Ce à quoi on assiste aujourd'hui est d'autant plus inquiétant que cela outrepasse la justice des États. Les projets comme SOPA, PIPA ou ACTA vont transformer les intermédiaires techniques de l'Internet (fournisseurs d'accès, fournisseurs de services d'hébergement, etc.) en police privée du copyright, censurant leur réseau sans contrôle de l'autorité judiciaire. Par ailleurs, en Espagne, les tribunaux ont jugé que le site Rojadirecta, qui ne faisait que rediriger les internautes vers d'autres sites diffusant des matchs de sport en streaming, était licite. À deux reprises ! Pourtant les autorités américaines ont décidé de "confisquer" le nom de domaine du site. Du coup, le site a disparu et n'a pu réapparaître qu'après avoir changé de nom. Et ce genre d'action s'est produit plus de 300 fois l'an dernier. Voilà la réalité d'aujourd'hui. Mais il reste un tout petit peu d'espoir. Il faut encore attendre, mais aux dernières nouvelles, le projet SOPA a été retoqué (refusé) par la Chambre des représentants tandis que PIPA doit encore être étudié par le Sénat américain le 24 janvier. De son côté, ACTA va passer devant le Parlement européen le 26 janvier pour être ratifié (accepté). Et il faudra à tout prix rejeter ce texte au risque de voir des procédés de plus en plus brutaux se généraliser. Les jours qui viennent sont déterminants pour l'avenir d'Internet.
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