Alain Cotta & Yvan Blot : la démocratie directe existe-t-elle ?
Article source provenant d'Enquête&Débat et d'Agoravox
Le site Enquête & Débat a organisé le 3 mars un débat entre Alain Cotta (économiste, essayiste) et Yvan Blot (ancien député, haut fonctionnaire) sur le thème : la démocratie directe existe-t-elle ? C’est l’occasion pour eux de voir dans quels pays celle-ci est parvenue à se développer, sous quelles conditions elle peut émerger, quelles peuvent être ses limites, et pourquoi elle est inexistante en France.
Puisque j’ai cité Rousseau, il vaut sans doute mieux lui laisser le dernier mot. Sa légitimité historique et son génie n’ont sans doute pas d’égal pour nous réveiller, et nous appeler à prendre enfin ce pouvoir qui nous revient... et ce sans attendre gentiment qu’on vide notre porte-monnaie, de telle sorte que nous soyons forcés à faire la révolution. Il est d’ailleurs curieux que l’on s’évertue en France à manifester régulièrement pour des causes très définies, en réagissant par à-coups aux réformes de nos dirigeants, sans jamais penser à organiser la manifestation la plus consensuelle et la plus évidente qui soit, et qui éviterait toutes les autres : celle pour le retour effectif du pouvoir au peuple. Alain Cotta et Yvan Blot tentent d’ailleurs d’apporter des éléments de réponse à ce paradoxe. Mais, la parole à Rousseau ai-je dit. ____________________ « Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des Citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l’Etat est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au Conseil ? ils nomment des Députés et restent chez eux. A force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre. C’est le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent les services personnels en argent. On cède une partie de son profit pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave ; il est inconnu dans la Cité. Dans un Etat vraiment libre les Citoyens font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent : Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes ; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les taxes. Mieux l’Etat est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées dans l’esprit des Citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins particuliers. Dans une cité bien conduite chacun vole aux assemblées ; sous un mauvais Gouvernement nul n’aime à faire un pas pour s’y rendre ; parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas, et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. Les bonnes lois en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires. Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’Etat, que m’importe ? On doit compter que l’Etat est perdu. L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des États, les conquêtes, l’abus du Gouvernement ont fait imaginer la voie des Députés ou Représentants du peuple dans les assemblées de la Nation. C’est ce qu’en certains pays on ose appeler le Tiers-Etat. Ainsi l’intérêt particulier de deux ordres est mis au premier et au second rang, l’intérêt public n’est qu’au troisième. La Souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le Peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple Anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moyens de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde. » Jean-Jacques Rousseau ; le Contrat social, III:XV (1762) |