Mohamed Merah avait des relations avec la DCRI, selon l'ex-patron de la DST
Source : Ladepeche.fr
Yves Bonnet, ex-patron de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST)
Pour reprendre le mot d'Alain Juppé, y a-t-il eu des « failles » dans l'affaire Mohamed Merah ?
La Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI), c'est vrai, connaissait Mohamed Merah. Est-ce pour autant que la DCRI a failli en ne le mettant pas sous surveillance plus importante, plus serrée ? Je ne pense pas qu'il faille aller jusque-là parce que c'est toujours difficile de savoir ce que quelqu'un a l'intention de faire. Je le sais par expérience. De plus, il ne faut jamais oublier que la surveillance d'une personne nécessite des moyens considérables et qu'aujourd'hui, s'il y a une faille, c'est dans la modicité des moyens de nos services de sécurité. Indiscutablement, les moyens qui sont mis à la disposition de la DCRI ne sont pas suffisants pour couvrir la totalité des besoins. Je parle des moyens matériels, mais surtout, humains.
Pourtant, des éléments interpellent. Le 10 septembre 2010, le patron de la DCRI, Bernard Squarcini, expliquait au Journal du Dimanche qu'il plaçait en tête des menaces du terrorisme islamiste « le Français converti qui se radicalise et monte son opération seul » et les djihadiste français « qui partent en Afghanistan ». Comment expliquer que Merah repéré, la DCRI n'ait pas vu de risque après avoir eu un entretien avec lui, le 14 novembre 2011 ?
Ce qui, personnellement, me paraît poser question, c'est que le garçon avait manifestement des relations avec la DCRI comme on l'a appris à travers les déclarations de Bernard Squarcini lui-même. C'est-à-dire qu'il avait un correspondant au Renseignement intérieur. Alors appelez ça « correspondant », appelez ça « officier traitant »… je ne sais pas jusqu'où allaient ces relations, voire cette « collaboration » avec le service, mais on peut effectivement s'interroger sur ce point.
Pour mettre un mot sur les choses, était-il un indicateur de la DCRI ?
Eh bien voilà… c'est exactement ça le problème. Car ce qui interpelle, quand même, c'est qu'il était connu de la DCRI non pas spécialement parce qu'il était islamiste, mais parce qu'il avait un correspondant au Renseignement intérieur. Or avoir un correspondant ce n'est pas tout à fait innocent. Ce n'est pas anodin.
On a évoqué aussi un retard au début de l'enquête. Qu'en pensez-vous ?
Oui, il y a eu du temps perdu par les juges. On aurait dû dès le départ considérer que c'était un acte terroriste. Tuer des militaires gratuitement est un acte terroriste. Mais il faut reconnaître, et c'est malheureux, qu'on s'est moins intéressé aux assassinats de militaires qu'aux assassinats d'enfants. Ce qui est un autre débat. Mais oui, dès le départ, un juge antiterroriste aurait dû être saisi et c'est bien un problème judiciaire, car dès qu'il y a un crime commis, c'est la justice qui intervient.
A ce propos, c'est pourtant Claude Guéant qui a monopolisé les écrans. était-ce le rôle du ministre de l'Intérieur de commenter en direct l'action du Raid ?
Claude Guéant n'avait absolument pas à communiquer. C'est tout à fait clair. Le ministre de l'Intérieur n'a pas à intervenir dans une affaire qui est entre les mains des juges. Non seulement l'autorité administrative n'a pas à interférer sur l'enquête -je rappelle que M. Guéant, tout ministre qu'il soit, n'est pas officier de police judiciaire- mais il a encore moins à commenter le déroulement de l'enquête.
Que pensez-vous de la façon dont a été conduite l'intervention pour interpeller Mohamed Mehra ? Ce choix du siège et de l'assaut plutôt que celui, qui prime habituellement lors des interpellations d'etarras, par exemple : une arrestation discrète, dès que le suspect sort de chez lui ?
A priori, il y a eu un grand temps de latence. Le temps de latence devrait profiter aux professionnels, les plus nombreux, les mieux équipés, les mieux entraînés… Après, sur les données de l'intervention, je m'en remettrai à l'avis de Christian Prouteau, s'il y a un expert en France, c'est bien lui : il est étonné qu'on n'ait pas réussi à le prendre vivant. Il pense qu'on n'a pas utilisé les bons moyens, et qu'on s'est bêtement privé de l'expertise du GIGN, et il faut reconnaître que dans ce genre d'affaire, les plus professionnels, les plus qualifiés et les meilleurs, ce sont les gendarmes du GIGN. Après, pourquoi a-t-on voulu prendre le Raid..?
Pour des questions politiques ?
Certains le disent. Je n'irai pas jusque-là : je n'ai pas le dossier en mains. Mais quand on juge d'une intervention violente où les policiers risquent leur vie il faut être prudent et mesuré, faire en sorte que les policiers ne risquent pas leur vie et ça pour moi, c'est une donnée extrêmement importante. à présent je suis de ceux qui regrettent vraiment qu'il n'ait pas été pris vivant et beaucoup de questions restent posées. Sur une affaire comme celle-là, il faudrait une expertise.
Une commission parlementaire ?
Je verrais plutôt l'Inspection générale de la police nationale et l'inspection générale de la gendarmerie. Pour moi, c'est un problème de techniciens. Les parlementaires n'apporteraient rien au débat, si ce n'est que la commission d'enquête parlementaire a des pouvoirs juridiques.
Y a-t-il eu une légèreté de l'action policière au vu de tout cela ?
La légèreté, c'est peut-être beaucoup dire mais on peut avoir le sentiment que les considérations médiatiques l'ont emporté sur tout le reste. Et on peut se poser la question de l'efficacité du dispositif « Vigipirate rouge ». Je la pose de façon récurrente, car en l'occurrence, on aura remarqué sa parfaite nullité. Les écoles sont censées être protégées par Vigipirate rouge et le contre exemple est terrible. Vigipirate, c'est de l'affichage et ça ne sert à rien. Par contre, renforcer les moyens de la DCRI, et des services de police en amont, oui. Mais depuis un certain nombre d'années, on sacrifie, on rogne sur les crédits, on baisse sur la qualité des personnels. Quand j'étais député, on a supprimé un certain nombre de postes de commissaires pour les remplacer par des gardiens de la paix, excusez-moi, mais ce n'est pas le même niveau.
Ces événements ont cependant fait remonter la droite au créneau sur le thème du « laxisme » supposé de la gauche, sur ces questions de sécurité. Qu'en pensez-vous ?
Cette accusation ne vaut pas un clou. Vraiment pas un clou. J'ai été directeur de la DST sous des gouvernements de gauche, la suite a prouvé que je n'étais pas de gauche puisque je suis devenu député Udf, mais la gauche ne m'a jamais demandé ma carte et j'ai pu agir de manière totalement libre, sans contraintes et avec le soutien de mes ministres, singulièrement Gaston Deferre. Dire que la gauche est plus laxiste que la droite, c'est du grand n'importe quoi.
Les mesures annoncées par Nicolas Sarkozy ?
Je dis attention aux libertés, il ne faut pas tomber dan le travers de mesures liberticides. De plus, notre arsenal de lois est suffisant. Commençons par appliquer les lois.
Une semaine après la tragédie, les questions qui se posent encore
Quel a été le rôle des services de renseignements intérieurs ?
A l'automne 2011, Mohammed Merah revient d'Afghanistan. Le 22 novembre, il se rend à une convocation au commissariat. Il est interrogé par deux personnes. Un policier de la direction régionale du renseignement intérieur, la DRCI, et un spécialiste de la mouvance islamiste, envoyé spécial de la direction centrale à Paris. Mohammed Merah se remet alors d'une hépatite contractée au Pakistan, va leur expliquer qu'il s'était rendu là-bas pour faire du tourisme…
Les fonctionnaires seront bien obligés de le laisser repartir car faute d'infraction, aucune charge ne peut être retenue contre lui. Il Mais ils vont poursuivre une surveillance discrète, qui a débuté il y a déjà bien longtemps, dès ses premiers séjours au Pakistan ou en Afghanistan. Ils trouvent le garçon « bizarre », sournois, potentiellement dangereux… Alors, qu'aurait-il fallu faire à ce moment-là ?
À quoi a servi Vigipirate ?
Depuis le 7 juillet 2005, date des attentats à Londres, le niveau d'alerte Vigipirate a constamment été maintenu au rouge. Vigipirate associe l'action des forces armées et de la police sur les sites sensibles. Les patrouilles mixtes armées-police sont assurées de 7 heures à 22 heures, en principe. Les écoles, les lieux de culte, les endroits dits « sensibles ». Mais ce plan n'a rien empêché dans l'accomplissement des meurtres, notamment devant le collège Ozar Hatorah.
Que pouvait-on espérer dès lors, d'un plan Vigipirate écarlate ?
« Un nazi ou un islamiste » ?
Dès le début de l'enquête, tout de suite après les meurtres des soldats de Montauban, les policiers ont eu la conviction que ce geste ne pouvait être que celui d'un « nazi ou d'un islamiste ».
Or, selon certains policiers, les personnes pouvant correspondre à ce profil dans le Grand sud représentent à peine une quinzaine de personnes. Pourquoi n'a-t-on pas repéré plus vite Mohammed ? Sans doute parce que le garçon avait un profil atypique, entre le petit voyou de quartier et l'islamiste d'occasion : contrairement à son frère, il n'avait pas les habitudes ou les comportements d'un islamiste. « Il nous a roulés dans la farine » dit un enquêteur .