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La croissance, en France et dans de nombreux pays
du monde, est aujourd'hui prônée de nouveau, comme solution à la crise
de l'UE. Mais que recouvre-t-elle, cette fameuse croissance ? Plus
largement, une société doit-elle se bâtir, se vivre et se poursuivre sur
la croissance ?
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Le paysage du désastre n'a cessé de se déployer depuis 2008, année
de la crise financière. L'Etat, resté sans solution comme sans
résultat significatif, est sommé aujourd'hui de prendre la mesure de ce
cancer social et les mesures d'ampleur qu'il nécessite.
La réponse qu'il semble vouloir donner tient en un mot :
« croissance », qui a souvent pour corollaire l'onction protectrice
qu'on appelle « régulation ».
Hors « croissance » renvoie à « production », activité principale de
l'entreprise. L’État, les politiques sont de nouveau dévoués à la
croissance. Mais la production et la
croissance corrélative ne peuvent constituer l'objectif central d'un
état, si ce n'est pour les dirigeants d'entreprise ou les politiques au
service des dirigeants d'entreprise.
Un État existe d'abord pour servir, par des normes et des
institutions qui organisent la vie en société, les citoyens qui l'ont
pensé, voulu et constitué au fil des générations. Vie en société
qui doit être axée sur un progrès qualitatif, avec une dimension
nécessairement collective qui se définit et s'incarne en une valeur
commune et cardinale, l'égalité.
L'entreprise en régime concurrentiel est essentiellement asociale et inégalitaire.
Ceux qui la dirigent en captent l'essentiel des bénéfices – patrons
et éventuels actionnaires – contrairement au salarié lambda, dont on n'a
pas besoin de rappeler la modicité du salaire moyen et
la difficulté à obtenir une quelconque augmentation... Ces mêmes
dirigeants à l'égoïsme structurel et actif, perçoivent les institutions
et règles de la société comme des entraves qui empêchent
la croissance de leur entreprise. Ainsi du salaire minimum qui
constitue un «frein insupportable » à la « flexibilité » de
l'entreprise, corne partout le Medef. Ainsi des
protections internes à l'entreprise, comme les normes de sécurité,
ou externes, tels les filets sociaux que les patrons rechignent à
accepter, mettre en place et financer – lors même que c'est
l'argent du salaire socialisé qui paye ces règles et moyens de vie
collective minimale, sinon correcte.
La croissance est l'objectif central et unique de l'entreprise. On
ne compte plus les auteurs de manuels d'économie bien dégagés au-dessus
des oreilles bramant qu'une entreprise dont la taille,
la production et les bénéfices stagnent est morte à terme. Un état
doit-il adopter ce même mot, ce même standard ? Avant d'y répondre, il
ne faut pas oublier que les mots contiennent des choses,
définissent un parcours. Adopter la « croissance », c'est adopter le
pas et les valeurs de l'entreprise.
Alors, la vie en France doit-elle être « croissante » ? Si l'on en
croit les professionnels de la politique d'un côté et de l'autre de
« l'échiquier » politique, comme
dirait Barbier, l'abonné de l'émission de Lagardère que tout le
monde connaît, la réponse est positive.
Quelques simples questions permettent pourtant de douter du simple
bon sens de ceux qui crient « la croissance !», comme certains médecins
« le poumon !»...
C'est plus de « croissance » qui va ramener la politique dans le
giron citoyen ? C'est plus de croissance qui va obliger les politiques à
une vie sobre, une activité intègre, une
rigueur au service de la collectivité ? C'est plus de « croissance »
qui va faire une carte électorale élisant un député avec le même nombre
de voix qu'un autre ? C'est plus
de « croissance » qui va faire baisser les prix avant qu'il
n'envoient vivre dans la rue une fraction significative des français ?
C'est la « croissance » qui va empêcher
qu'on paye des loyers pour des appartements aux pièces de 10 m2 de
surface où il fait froid en hiver et chaud en été, au quatrième sans
ascenseur, avec plancher gondolé, douche si petite que s'y
laver devient une prouesse de gymnaste, chauffage dont seule la
facture est réellement conséquente et rappel immédiat par le marchand de
sommeil qu'on appelle « propriétaire » si vous
avez un seul jour de retard pour certifier de votre chèque son
racket ?...
N'importe qui pourrait continuer longtemps la liste des fractures,
des dysfonctionnements et des coups de couteau portés au contrat social,
pour lesquels la croissance ne sera d'aucun remède. Ce,
pour une bonne et simple raison.
La « croissance » n'a rien à voir et n'apporte rien de concret aux
valeurs républicaines qui expriment nôtre contrat social, notre volonté
de vivre ensemble et de continuer à bâtir un
vivre-ensemble meilleur que l'homme solitaire et braquant ses forces
comme ses plans contre les autres. Elle ne parle pas de ce qui nous lie
mais de ce qui nous oppose, la concurrence des
produits, la différence de la richesse. C'est un objectif qui
réussit la prouesse d'être vide et pourtant tout à fait nuisible. Une
sorte de mirage informe agité aux yeux des imbéciles.
Nous avons eu des décennies de croissance ininterrompue et
l'économie mondiale ne s'est jamais aussi mal portée. Certains,
peut-être conscients de cela et soucieux de dissimuler les coups qu'ils
infligent à la société en prétendant lui offrir un baume, posent le
mot « régulation » sur leur gâteau.
Si l'on se transporte dans le monde brutal du MMA – Mixed Martial
Art -, mélange de tous les arts martiaux qui a du succès aux USA et un
peu en France, on constate que celui-ci est pourvu de
réglementation strictes. Impossible de faire s'affronter des
catégories de poids différentes ou de porter des coups derrière la tête,
ou encore de frapper aux parties.
La régulation, dans cet univers, consisterait à donner aux agents
des combattants la possibilité de définir l'amende normale et
supportable pour contrevenir à ces règles, en assortissant, pour la
bonne moralité, les amendes d'éventuelles suspension en cas de mort
ou d'invalidité permanente des combattants. Les condamnés auraient le
droit de faire appel de toute condamnation, ce recours
étant suspensif de la peine.
« Réguler » la « croissance », c'est donner licence pleine et
entière à l’État de faire tout ce qu'il est possible pour alimenter le
combat solipsiste, furieux et destructeur
de société mené par les entreprises. C'est transformer l’État en un
holding général visant à dénouer la société, araser les valeurs qui la
fondent et la traversent en permanence pour notre bien,
notre devenir, notre existence même.
L'objectif croissance est un échec, même et surtout dans le domaine
économique. D'ailleurs, les périodes de prospérité n'ont pas été dues à
la croissance, mais au fait que la société où se
déployait la guerre économique de tous contre tous au profit de
quelques-uns, recelait encore des acteurs politiques et citoyens forts
qui ont imposé l'idée que le peuple prenne sa part et sa
grande part de l'argent que lui-même produit.
La « croissance », si on continue à la prôner, à l'accepter comme
valeur, à faire de cet ensemble vide, de ce vocabulaire hors-sol et
littéralement insensé, notre boussole, engendrera
forcément une extension du domaine de la compétition économique
régulée. Corrélativement, les valeurs et le périmètre sociétal s'en
trouveront encore réduits. La "croissance" ne cessera de ruiner
notre pays, tous les pays du monde d'ailleurs, on le voit chaque
jour un peu plus.
Sa nature est telle qu'elle produit exactement l'inverse de ce
qu'elle promet. Elle est un concept tout à fait particulier et limité à
l'entreprise concurrentielle. Son importation dans le
politique pour en faire une valeur générale est un échec patent. Non
seulement elle ne répond nullement à nos questions, mais elle est un
problème qui est rien moins que...Croissant.
Grâce à elle, toutes les tendances fondamentales de l'économie
actuelle s'exaspèrent. Les prix explosent et les produits sont toujours
plus mauvais. Pour la croissance on plie les gens, on les
jette, on les affame, et on les tue là-bas dans les contrées
exotiques, s'ils refusent. Dans les pays developpés on les conduit à se
suicider, ce qui est quand même nettement plus démocratique.
La "croissance" a démarré avec la révolution industrielle
Elle est basée sur le commerce des choses, dont on sait depuis
l'origine qu'il est fondamentalement truqué. Le commerçant
économiquement parfait metraitt en vente du vent, à un prix
astronomique.
La croissance est née et prospère sur la forme hystérique et
contemporaine du commerce, le capitalisme, qui a ajouté au commerce
l'exploitation des salariés.
Est-ce bien ainsi et pour cela que les hommes doivent vivre ?
Alain Lasverne
11 juin 2012 à 09:03
Merci d'avoir repris cet article et l'interrogation qu'il porte. Nous sommes dans un moment-carrefour, en France et ailleurs, où les peuples, les pensées libres et responsables peuvent reprendre la main, contre la propagande de l'argent et du fascisme avançant masqués, pour écraser toute autre alternative.