Accident nucléaire niveau 7 (sur 7)
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Lemonde
JFV : Fukushima ne devrait-il pas désormais être classé niveau 7 ?
Pierre Le Hir : A l'évidence, l'accident de Fukushima est déjà une catastrophe nucléaire, et la gravité de cette catastrophe, c'est-à-dire son impact environnemental et sanitaire, pourrait encore s'accroître dans les prochaines semaines.
Au départ, les autorités japonaises avaient minimisé l'accident en le classant au niveau 4 sur une échelle internationale qui comprend 7 degrés de gravité. L'Autorité de sûreté nucléaire française a très rapidement considéré que c'était en réalité un accident de niveau au moins 5, c'est-à-dire l'accident de
Three Mile Island en 1979 aux Etats-Unis, et plus probablement de niveau 6, c'est-à-dire juste en dessous de l'accident de Tchernobyl en 1986, qui a été classé au niveau 7.
Depuis, il n'y a pas eu de reclassement, mais on peut très certainement considérer que l'accident de Fukushima est de même ampleur que celui de Tchernobyl.
Hector : Pouvez-vous faire le point de la situation actuelle sur le site de la centrale ?
Hervé : Quelles informations avons-nous ? N'a-t-on pas dépassé le point de non-retour ?
Miaski : La catastrophe est-elle aussi grave que ce qu'on veut nous dire ?
Les informations sont très parcellaires et souvent contradictoires. Sur le site de Fukushima-Daiichi, il y a six réacteurs nucléaires, dont trois étaient à l'arrêt avant le séisme et le tsunami.
Les trois autres ont été mis en arrêt d'urgence lors du séisme et du tsunami. Depuis, faute d'alimentation électrique, les circuits habituels de refroidissement ne fonctionnent pas, donc sur les réacteurs 1, 2 et 3, le cœur des réacteurs, c'est-à-dire le combustible nucléaire, s'est très fortement dégradé, c'est-à-dire qu'il a fondu.
Rien ne permet de savoir quel est le niveau exact de fusion. Il est probable que les enceintes de confinement de plusieurs réacteurs ne sont plus étanches et il est également possible que les cuves de certains réacteurs, où se trouve le combustible nucléaire, soient elles aussi endommagées. A cette situation s'ajoute le fait que, pour refroidir les installations, des milliers de mètres cubes d'eau ont été déversés. Cette eau s'est accumulée et il y a maintenant des "flaques" qui peuvent atteindre un mètre de haut et qui sont extrêmement radioactives, et qu'il faut donc évacuer d'une façon ou d'une autre.
Apparemment, le point de non-retour, c'est-à-dire celui où le cœur de tous les réacteurs fondrait et où la situation échapperait totalement à l'exploitant, Tepco, n'est pas encore atteint. Mais manifestement, Tepco est dépassé par la situation.
Oui, la situation est extrêmement grave. Tout dépend ensuite des critères que l'on considère. On peut pondérer la gravité de l'accident nucléaire en pensant aux 17 000 victimes du séisme et du tsunami. Mais la menace nucléaire perdurera sur le long terme.
Berlioz : EDF, Areva et le Commissariat à l'énergie atomique ont été appelé à la rescousse par les Japonais. Que peuvent apporter les Français dans la résolution des problèmes de la centrale de Fukushima ?
A ce jour, Areva, EDF et le CEA ont indiqué qu'ils voulaient surtout apporter une expertise, plutôt que du matériel. Ils avaient tous les trois déjà proposé le 18 mars de livrer au Japon des robots capables d'intervenir dans des milieux très contaminés à la place de l'homme. Le Japon avait décliné cette offre.
Il faut savoir que même si ces engins robotisés sont capables d'intervenir dans des milieux hostiles, par exemple de réaliser des mesures de radioactivité, de prélever des échantillons, voire de réaliser des opérations simples comme de la découpe, ils ont néanmoins besoin d'être commandés à distance, ce qui suppose de repérer à l'avance le terrain d'intervention, et ils ne sont pas la panacée.
Areva et EDF ont par ailleurs déjà livré au Japon un très grand nombre de matériels et d'équipements individuels, comme des combinaisons de protection, des masques, des gants, des dosimètres, etc.
Tous ces matériels sont très utiles. Sur la gestion de la crise proprement dite, il est douteux que les experts français du nucléaire aient des solutions alternatives à proposer.
MAdministrateurK1 : Pouvons nous craindre une explosion de la centrale ?
Alcatol : Peut-on craindre une explosion de vapeur, c'est-à-dire la vaporisation d'une partie du corium dans l'atmosphère ? Quelles sont les mesures prises pour l'éviter ?
Une explosion de la centrale, non. Encore une fois, tous les réacteurs sont aujourd'hui à l'arrêt et il n'y a donc pas de risque d'emballement d'une réaction en chaîne. En revanche, des explosions d'hydrogène, oui. Il y en a déjà eu plusieurs fois au premier jour de l'accident, et ce sont ces explosions qui ont soufflé une partie des bâtiments où sont installés les réacteurs.
Il peut aussi se produire des explosions d'hydrogène liées à la fusion du coeur. Lorsqu'il atteint des températures élevées faute de refroidissement, le combustible nucléaire se transforme en un magma très irradiant, le corium, dans lequel on trouve également les gaines métalliques des combustibles nucléaires, ainsi que des éléments de structure interne des cuves des réacteurs.
Ce corium peut provoquer de nouvelles explosions d'hydrogène qui pourraient disperser dans l'atmosphère des radioéléments. Mais avec la fusion du cœur, le risque principal est que la cuve soit percée, que le corium s'en échappe, qu'il attaque la dalle de béton qui se trouve sous le bâtiment du réacteur, et, éventuellement, que des matières radioactives se dispersent dans le sous-sol et ruissellent jusqu'à l'océan.
Radiguet : Pourquoi ne fabrique-t-on pas un sarcophage, ou plusieurs, comme lors de l'accident de Tchernobyl ?
C'est une option qui semble avoir été et peut-être être toujours envisagée, mais c'est une opération qui demande du temps. Dans l'immédiat, il y a toujours urgence à continuer de refroidir les cœurs des réacteurs, mais aussi à maintenir un niveau d'eau suffisant dans les piscines de combustibles usés qui se trouvent dans chacun des bâtiments des réacteurs.
Le combustible présent dans ces bassins, s'il n'est pas assez refroidi, peut lui aussi fondre et provoquer un phénomène identique à celui du cœur des réacteurs.
Harold : Que ce passerait-il si le point de "non-retour" était franchi ?
Qu'appelle-t-on le point de non-retour ? Imaginons que le niveau de radioactivité sur le site soit tel qu'il ne soit plus possible, humainement, d'y intervenir. A ce moment-là, tous les cœurs de réacteur fondraient, et, selon le processus décrit plus haut, s'échapperaient et se retrouveraient au contact du béton.
Ensuite, c'est l'inconnu. Un tel accident ne s'est jamais produit. On sait que le corium dont on parlait plus haut est à une température de l'ordre de 2 000 à 2 500 °C et que le béton fond typiquement à une température de 700°. Mais tout dépend de la composition de ce béton, et tout dépend aussi de la façon dont le corium pourra s'étaler ou non, c'est-à-dire refroidir plus ou moins vite.
Au pire, toute la matière radioactive traverserait le béton et se retrouverait au contact de la roche sur laquelle est installée la centrale de Fukushima. C'est une roche magmatique, de granite, mais on ignore s'il y a des fracturations ou non, s'il y a des écoulements d'eau, et donc, personne n'est en mesure de dire si les matières radioactives seraient contenues par ce socle rocheux ou si elles migreraient dans le sous-sol et, éventuellement, dans l'océan, les côtes étant tout à côté de la centrale.
François : La situation est-elle en train de s'aggraver ou au contraire de s'améliorer ?
Elle semble en train de s'aggraver dans la mesure où Tepco est aujourd'hui confronté à deux nécessités contradictoires : d'une part, continuer à refroidir les réacteurs et les piscines de combustible en y injectant et en y déversant de l'eau ; d'autre part, évacuer cette eau qui est très contaminée et qui empêche de remettre en marche les systèmes normaux.
La semaine dernière, plusieurs éléments positifs étaient intervenus, notamment le fait qu'une connexion électrique avait été rétablie sur tous les réacteurs et également le fait que ce n'était plus de l'eau de mer corrosive qui était injectée dans les cuves, mais de l'eau douce.
Ces nouvelles positives sont depuis contrariées par le bourbier radioactif qu'est devenue la centrale.
Gossip : En cas de fusion du combustible, la réaction en chaîne ne se relance-t-elle pas ?
Selon les experts, non, sauf si le combustible se retrouve dans un bain d'eau alimenté en permanence. S'il s'agit uniquement d'eau résiduelle, celle-ci sera vaporisée, et la réaction en chaîne ne pourra pas être entretenue.
Pierre : Y a-t-il un risque que la radioactivité atteigne des niveaux critiques, à Tokyo, dans les jours ou les semaines à venir ?
Elle a déjà atteint, la semaine dernière par exemple, des niveaux critiques dans l'eau de consommation courante à Tokyo. La limite maximale autorisée en césium 137 pour l'eau potable est de 200 becquerels par litre pour les adultes, et de 100 becquerels par litre pour les enfants. La limite de 200 becquerels par litre avait été dépassée.
De même, dans certains légumes, à une centaine de kilomètres de la centrale de Fukushima, les niveaux autorisés de becquerels ont été très largement dépassés. Exemple : dans des lots d'épinards, le niveau atteignait 54 000 becquerels par kilo, alors que la limite est de 2 000 becquerels par kilo.
A distance du site, notamment à Tokyo, la contamination vient en fait des panaches de vapeur radioactive qui sont émis par la centrale, qui sont poussés par les vents et précipités au sol par les pluies. Donc la situation varie de jour en jour.
Florent : Le corium peut-il passer au travers du manteau terrestre ? Si oui, quels seraient les risques ?
Non. Il existe une théorie, qui s'appelle le "syndrome chinois", selon laquelle du corium émanant d'un réacteur américain traverserait la Terre de bout en bout. C'est un scénario de science-fiction. Le corium, s'il atteint le sous-sol, restera dans les couches superficielles de la croûte terrestre, ce qui n'empêche pas qu'il puisse y avoir une migration des radionucléides, par exemple vers une nappe phréatique.
Emmanuel : Quels peuvent être les risques pour la chaîne alimentaire et surtout, pour l'écosystème marin très proche de la centrale et des six réacteurs ?
On a déjà mesuré, par exemple le 26 mars à 300 mètres au large de la centrale, des taux d'iode 131 près de 2 000 fois plus élevés que la valeur normale. On peut craindre également que d'autres radioéléments comme le plutonium souillent le milieu marin.
Ces éléments vont se diluer dans l'océan, mais ils y subsisteront sur le long terme, en tout cas pour le plutonium, puisque l'iode, lui, a une dure de vie très courte.
Le risque principal est que ces radioéléments soient concentrés par les algues, auquel cas les concentrations peuvent être multipliées par un facteur 1 000, puis que ces algues (dont les Japonais sont de grands consommateurs) soient elles-mêmes mangées par des crustacés – homards, crabes –, ce qui provoquera une nouvelle concentration et, de ce fait, la chaîne alimentaire peut être gravement contaminée.
Cédric : Si la matière radioactive se retrouve en dehors de la centrale à l'air libre : quelle contamination ? Sur quelle zone ? Pendant combien d'années ?
Jusqu'à présent, la contamination radioactive est venue principalement de ce qu'on appelle les "produits de fission", c'est-à-dire les cendres résultant de la combustion nucléaire.
Ces produits de fission sont des aérosols qui ont été relâchés dans l'atmosphère. Les plus pénalisants à court terme sont l'iode 131 et le césium 137. L'iode 131 peut se fixer sur la thyroïde et provoquer un cancer de cette glande. Le césium 137, lui, peut générer des cancers digestifs et pulmonaires ou des leucémies.
En cas de forte dégradation du combustible – et celle-ci semble en cours –, d'autres produits peuvent être relâchés. Le plus inquiétant d'entre eux est le plutonium, car c'est une substance très toxique à la fois sur le plan chimique (ses effets sont comparables à ceux de l'arsenic) et sur le plan radiologique.
S'il est inhalé ou ingéré, le plutonium peut provoquer des cancers. Seule chance : c'est un métal lourd qui est donc peu mobile dans l'environnement, c'est-à-dire qu'il a tendance à se disperser très difficilement.
A Tchernobyl, où il y avait eu une très violente explosion qui avait projeté au loin différentes matières radioactives, la zone contaminée par du plutonium a été d'un rayon d'une trentaine de kilomètres.
Kévin: Combien de temps cette catastrophe peut-elle durer ?
D'ores et déjà, l'Autorité de sûreté nucléaire française, par exemple, indique que la contamination dans la zone de 20 ou 30 kilomètres où la population a été évacuée ou mise à l'abri va durer pendant des années, et plus probablement des décennies.
Cet ordre de grandeur de plusieurs décennies ne changera pas fondamentalement si la situation empire. Quant à l'accident de Fukushima proprement dit, les autorités japonaises elles-mêmes annoncent qu'il pourrait durer plusieurs mois, voire une année ou même davantage.
Myriam : Quels sont les risques sanitaires de présence de plutonium dans les fonds marins ?
Comme je l'ai dit, le risque n'est pas tant pour les fonds marins, où le plutonium va se diluer, que pour la chaîne alimentaire. Et dans l'immédiat, le risque, notamment pour les "liquidateurs" qui se relaient sur le site de la centrale ne vient pas du plutonium (jusqu'à présent, on n'en a décelé que des traces), mais des produits de fission, donc l'iode et le césium radioactifs, mais aussi d'autres radioéléments comme le strontium, le ruthénium, etc.
Diane : On ne nous parle plus de nuage radioactif. Cela veut-il dire qu'il n'y a plus d'émanations radioactives voyageant avec les vents ?
Non. Il y en a très certainement encore. Au premier jour de l'accident, Tepco a procédé à des dégazages volontaires pour éviter la surpression à l'intérieur des enceintes de confinement ; ces lâchers de vapeur d'eau ont entraîné une dispersion dans l'atmosphère de produits radioactifs.
Au cours des derniers jours, il n'y a apparemment plus eu de lâcher de vapeur volontaire. En revanche, plusieurs enceintes de confinement ne sont probablement plus étanches et des radionucléides continuent donc à s'échapper, mais cette fois, de façon incontrôlée.
Miaski : La présence du plutonium dans le sol n'annonce-t-elle pas déjà une catastrophe écologique ?
C'est déjà une catastrophe écologique. Il va y avoir autour de Fukushima, dans un périmètre qu'il est aujourd'hui difficile de définir mais qui sera probablement de l'ordre de 30 km de rayon, une sorte de zone interdite comme à Tchernobyl.
A ce stade, la détection de plutonium n'est pas le signe d'une aggravation. Si des quantités plus importantes de plutonium étaient décelées, cela signifierait que le combustible est en cours d'achèvement de fusion, et surtout, qu'il a trouvé une issue pour sortir des cuves, c'est-à-dire que celles-ci ne sont plus intègres, et l'on retombe sur le scénario décrit plus haut.
Juan : Est-on techniquement capables d'arrêter une fusion de cœur de réacteur ?
C'est un accident qui n'avait jamais été pris en compte avant Three Mile Island, donc rien n'est véritablement prévu pour l'empêcher. Sur l'EPR, dont quatre exemplaires sont en construction en Finlande, à Flamanville en France et en Chine, un dispositif de sécurité est spécifiquement prévu pour recevoir le corium en cas de fusion du cœur, lui permettre de s'étaler, avec un gros réservoir d'eau qui se déverserait automatiquement sur le corium fondu.
Est-ce pour autant la parade absolue à cet accident ? L'histoire du nucléaire montre que les systèmes de sécurité prévus sont toujours pris en défaut par ce qui est, par définition, imprévisible.