1. L’idéal, le possible et le probable
Source
Écrit par Michel Koutouzis
Fin 2008, début 2009, pendant six petits mois, il était possible de remettre le marché à sa place. De changer, sous le vent de panique qui paralysait la finance et ses outils, les règles qui avaient fait la preuve de leur inefficacité. A sanctionner leur irréalisme, en mettant sous la tutelle du politique les banques, leurs dirigeants et leurs pratiques suicidaires. La crise financière était alors l’aboutissement du laisser faire hors de tout contrôle réel du secteur financier, mais aussi la conséquence des mécanismes mis en place par les Etats eux-mêmes d’un système qui faisait de l’emprunt la source principale générant profits et monnaie. Ce monstre glouton, qui tuait à petit feu toute autre activité humaine à commencer par l’industrie, les services hors finance, la recherche, le commerce etc., et dénaturait systématiquement le prix réel des matières premières, agricoles, de transport, etc., en ne retenant que leur valeur spéculative, avait permis la confusion entre progrès et enrichissement, entre croissance et bénéfices boursiers. En voulant lutter contre l’inflation et sa planche à billets, les Etats avaient mis en place un système qui travestissait le réel : ce qui marchait à force d’innovation, de coût du travail déprécié, de transgressions des droits élémentaires (pourtant criardes), etc., était sur-apprécié, ce qui ne marchait pas au rythme des appétits financiers périclitait. Et la fameuse croissance n’était autre que le produit désarticulé de ce binôme infernal auquel invariablement on ajoutait une fuite en avant de produits financiers spécifiques à la maximalisation des bénéfices des emprunts. Pourquoi investir dans l’économie réelle, les services, les infrastructures à long terme quand les dettes (d’où qu’elles viennent) rapportent bien plus et surtout génèrent de la monnaie ?
[pour mieux comprendre une vidéo courte et ludique : L'argent, son histoire et son fonctionnement.
ou plus sérieux, le documentaire Inside Job VOSTFR]
C’est cette concentration d’une masse monétaire s’auto augmentant loin des besoins d’une croissance réelle et durable qui était à la source de la crise. Les gouvernants à l’époque auraient pu arrêter cette machine infernale qui exigeait un financement gigantesque rien que pour survivre. C’est un choix politique qui est responsable de toutes les autres crises qui s’en suivirent. Celui de ne pas mettre en cause les auteurs de la faillite financière et leur donner les moyens de continuer comme avant. C’est à cette époque qu’il aurait fallu instaurer une règle d’or et que celle-ci concernât le secteur financier. Cela aurait constitué l’idéal, dans un monde parfait où les gouvernants ne sont enchaînés ni aux pressions de la finance, ni à des certitudes idéologiques qui empêchent d’identifier une fin de cycle d’un système et en tirer les conséquences. Un système qu’ils avaient mis sur pied pour remplacer les mesures issues des accords de Bretton Woods, eux-mêmes imbus d’idéologie et dépourvus de pragmatisme.
La crise de la dette souveraine qui s’en suivit n’est que la conséquence de ce choix politique. Le discours tenu par le FMI, par l’UE sous la coupe allemande, et qui exige une rigueur budgétaire et un désendettement (réalisé en quasi exclusivité sur le dos des classes moyennes et les plus fragiles) est volontairement amnésique. Il déplace le curseur de la responsabilité vers une mauvaise gouvernance des pays du sud européens (et pas seulement) tandis que celle-ci n’est que le résultat d’une gouvernance irresponsable de la finance, de ses outils, et d’une politique de fuite en avant, alimentée par les ressources faramineuses que procure la dette et à laquelle on a pas voulu mettre un frein. A cette amnésie volontaire s’ajoute une défaillance, tout aussi volontaire, de la vue, du constat, de l’évaluation de la dynamique de la dette : quoi qu’on fasse, quels que soient les milliers de milliards que l’on injecte, la dette augmente. Pour cela il suffit au marché d’émettre des doutes sur la capacité des Etats de rembourser les milliards qu’ils accordent pour le sauver. Car les dettes souveraines ne sont que des dettes vis-à-vis du marché. Plus ce dernier « prête », plus il se fragilise, plus il faut le renforcer par de nouvelles dettes, elles-mêmes créatrices de monnaie. On peut aisément identifier ce processus comme une bulle inflationniste autonome consignée c’est-à-dire ne profitant ni à l’économie réelle ni, en conséquence, au reste de la société et à son développement pérenne. Cette crise, éminemment idéologique, est plus aigue sur le vieux continent. L’Europe déleste une banque centrale agissante, ce qui n’est pas le cas des Etats-Unis. L’Europe déleste aussi la capacité de fluctuer ses taux de change, ce qui n’est pas le cas, ni au Japon, ni dans les pays émergeant (Inde, Chine, Brésil). Il ne lui reste donc que l’arme de la compression du coût du travail et des services, la paupérisation des services de l’Etat, ce qu’elle essaie de faire multipliant ainsi les effets de la crise, au nom d’une monnaie forte qui ne profite qu’à un seul pays (et une partie seulement de sa population), c’est à dire l’Allemagne. Comme si, l’identité spécifique de ce pays qu’elle soit démographique (peu de jeunes accédant chaque année au marché du travail), industrielle (choix des exportations aux dépends de la demande intérieure), du travail (de facto une main d’œuvre bon marché, conséquence de l’unification et du voisinage de pays européens à peine émergeants) et même politique (diversité des règles et des lois des Länder, régionalisme, élections répétitives pouvant déséquilibrer le pouvoir central par le biais du « local », etc.) étaient communs au reste de l’Europe. Sans oublier la culture de la rigueur issue du traumatisme inflationniste de l’entre deux guerres, et le modèle d’une banque centrale autonome, conséquence de l’occupation alliée.
Ossie elle-même, apatride de Länder qu’elle n’a jamais dirigé, nationaliste « globale » du mythe d’une Allemagne ad hoc, Angela Merkel est néo conservatrice plus que néolibérale. Elle croit de manière quasi mystique à la rigueur tout en étant le produit d’une mixture associant effort et opportunisme, qualités requises en Allemagne de l’est et qui allaient de paire avec une méfiance de la voix du peuple au nom du peuple-nation. A l’instar de son père, la chancelière est une missionnaire dans un monde complexe et contradictoire, engagée sur des idées simples et inébranlables. Elle n’a pas besoin de prouver le bien fondé de sa politique, elle y croit même si la réalité frappe à sa porte. Toux ceux qui s’y réfèrent, tous ceux qui considèrent la réalité du marché comme une évidence, sont manifestement des croisés croyants. Qui n’on rien de l’image rationnelle et raisonnable qu’ils veulent émettre et que les médias reproduisent allégrement.
Quelle est cette réalité contestée à la fois (et de plus en plus) par les spécialistes es économie (dont une ribambelle de prix Nobel), par les protagonistes de l’économie réelle non encore phagocytés par la finance (dont une partie non négligeable d’industriels), par le monde du travail et ses représentants, par les acteurs politiques qui veulent extraire les Etats de la tutelle du marché, par les services administratifs inhérents à l’Etat de droit (justice, police, éducation, santé, etc.,) qui subissent des coupes sèches à leurs budgets et en conséquence une paupérisation galopante, par une agriculture qui perd ses subventions et parallèlement paie le prix de son uniformisation industrielle, par les secteurs des services pénalisés par la « crise » (tourisme, commerce lié à la consommation des classes moyennes, immobilier, industrie des infrastructures, etc.), par toute forme d’activité économique liée à la consommation intérieure, par les transporteurs de biens et des hommes qui n’on pas financiarisé leurs revenus, etc.
Pour tous ceux qui affirment que nos sociétés vivent au dessus de leurs moyens, il suffirait de leur indiquer, en facteurs absolus, que la concentration capitalistique financière tournant le dos à l’économie et la vie réelle représentent plus de 70% de la masse monétaire mondiale, que plus de 90% de cette masse est estampillée dette mondiale, et que donc ce n’est pas les sociétés qui vivent au dessus de leurs moyens mais que ces moyens sont concentrés et monopolisés par une infime partie de l’économie et ses serviteurs. Pourrait-on aussi rétorquer que la masse monétaire de la dette est constituée essentiellement de ses intérêts et que ces derniers s’accroissent tant que la crise perdure.
A suivre…
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Écrit par Michel Koutouzis
Fin 2008, début 2009, pendant six petits mois, il était possible de remettre le marché à sa place. De changer, sous le vent de panique qui paralysait la finance et ses outils, les règles qui avaient fait la preuve de leur inefficacité. A sanctionner leur irréalisme, en mettant sous la tutelle du politique les banques, leurs dirigeants et leurs pratiques suicidaires. La crise financière était alors l’aboutissement du laisser faire hors de tout contrôle réel du secteur financier, mais aussi la conséquence des mécanismes mis en place par les Etats eux-mêmes d’un système qui faisait de l’emprunt la source principale générant profits et monnaie. Ce monstre glouton, qui tuait à petit feu toute autre activité humaine à commencer par l’industrie, les services hors finance, la recherche, le commerce etc., et dénaturait systématiquement le prix réel des matières premières, agricoles, de transport, etc., en ne retenant que leur valeur spéculative, avait permis la confusion entre progrès et enrichissement, entre croissance et bénéfices boursiers. En voulant lutter contre l’inflation et sa planche à billets, les Etats avaient mis en place un système qui travestissait le réel : ce qui marchait à force d’innovation, de coût du travail déprécié, de transgressions des droits élémentaires (pourtant criardes), etc., était sur-apprécié, ce qui ne marchait pas au rythme des appétits financiers périclitait. Et la fameuse croissance n’était autre que le produit désarticulé de ce binôme infernal auquel invariablement on ajoutait une fuite en avant de produits financiers spécifiques à la maximalisation des bénéfices des emprunts. Pourquoi investir dans l’économie réelle, les services, les infrastructures à long terme quand les dettes (d’où qu’elles viennent) rapportent bien plus et surtout génèrent de la monnaie ?
[pour mieux comprendre une vidéo courte et ludique : L'argent, son histoire et son fonctionnement.
ou plus sérieux, le documentaire Inside Job VOSTFR]
C’est cette concentration d’une masse monétaire s’auto augmentant loin des besoins d’une croissance réelle et durable qui était à la source de la crise. Les gouvernants à l’époque auraient pu arrêter cette machine infernale qui exigeait un financement gigantesque rien que pour survivre. C’est un choix politique qui est responsable de toutes les autres crises qui s’en suivirent. Celui de ne pas mettre en cause les auteurs de la faillite financière et leur donner les moyens de continuer comme avant. C’est à cette époque qu’il aurait fallu instaurer une règle d’or et que celle-ci concernât le secteur financier. Cela aurait constitué l’idéal, dans un monde parfait où les gouvernants ne sont enchaînés ni aux pressions de la finance, ni à des certitudes idéologiques qui empêchent d’identifier une fin de cycle d’un système et en tirer les conséquences. Un système qu’ils avaient mis sur pied pour remplacer les mesures issues des accords de Bretton Woods, eux-mêmes imbus d’idéologie et dépourvus de pragmatisme.
La crise de la dette souveraine qui s’en suivit n’est que la conséquence de ce choix politique. Le discours tenu par le FMI, par l’UE sous la coupe allemande, et qui exige une rigueur budgétaire et un désendettement (réalisé en quasi exclusivité sur le dos des classes moyennes et les plus fragiles) est volontairement amnésique. Il déplace le curseur de la responsabilité vers une mauvaise gouvernance des pays du sud européens (et pas seulement) tandis que celle-ci n’est que le résultat d’une gouvernance irresponsable de la finance, de ses outils, et d’une politique de fuite en avant, alimentée par les ressources faramineuses que procure la dette et à laquelle on a pas voulu mettre un frein. A cette amnésie volontaire s’ajoute une défaillance, tout aussi volontaire, de la vue, du constat, de l’évaluation de la dynamique de la dette : quoi qu’on fasse, quels que soient les milliers de milliards que l’on injecte, la dette augmente. Pour cela il suffit au marché d’émettre des doutes sur la capacité des Etats de rembourser les milliards qu’ils accordent pour le sauver. Car les dettes souveraines ne sont que des dettes vis-à-vis du marché. Plus ce dernier « prête », plus il se fragilise, plus il faut le renforcer par de nouvelles dettes, elles-mêmes créatrices de monnaie. On peut aisément identifier ce processus comme une bulle inflationniste autonome consignée c’est-à-dire ne profitant ni à l’économie réelle ni, en conséquence, au reste de la société et à son développement pérenne. Cette crise, éminemment idéologique, est plus aigue sur le vieux continent. L’Europe déleste une banque centrale agissante, ce qui n’est pas le cas des Etats-Unis. L’Europe déleste aussi la capacité de fluctuer ses taux de change, ce qui n’est pas le cas, ni au Japon, ni dans les pays émergeant (Inde, Chine, Brésil). Il ne lui reste donc que l’arme de la compression du coût du travail et des services, la paupérisation des services de l’Etat, ce qu’elle essaie de faire multipliant ainsi les effets de la crise, au nom d’une monnaie forte qui ne profite qu’à un seul pays (et une partie seulement de sa population), c’est à dire l’Allemagne. Comme si, l’identité spécifique de ce pays qu’elle soit démographique (peu de jeunes accédant chaque année au marché du travail), industrielle (choix des exportations aux dépends de la demande intérieure), du travail (de facto une main d’œuvre bon marché, conséquence de l’unification et du voisinage de pays européens à peine émergeants) et même politique (diversité des règles et des lois des Länder, régionalisme, élections répétitives pouvant déséquilibrer le pouvoir central par le biais du « local », etc.) étaient communs au reste de l’Europe. Sans oublier la culture de la rigueur issue du traumatisme inflationniste de l’entre deux guerres, et le modèle d’une banque centrale autonome, conséquence de l’occupation alliée.
Ossie elle-même, apatride de Länder qu’elle n’a jamais dirigé, nationaliste « globale » du mythe d’une Allemagne ad hoc, Angela Merkel est néo conservatrice plus que néolibérale. Elle croit de manière quasi mystique à la rigueur tout en étant le produit d’une mixture associant effort et opportunisme, qualités requises en Allemagne de l’est et qui allaient de paire avec une méfiance de la voix du peuple au nom du peuple-nation. A l’instar de son père, la chancelière est une missionnaire dans un monde complexe et contradictoire, engagée sur des idées simples et inébranlables. Elle n’a pas besoin de prouver le bien fondé de sa politique, elle y croit même si la réalité frappe à sa porte. Toux ceux qui s’y réfèrent, tous ceux qui considèrent la réalité du marché comme une évidence, sont manifestement des croisés croyants. Qui n’on rien de l’image rationnelle et raisonnable qu’ils veulent émettre et que les médias reproduisent allégrement.
Quelle est cette réalité contestée à la fois (et de plus en plus) par les spécialistes es économie (dont une ribambelle de prix Nobel), par les protagonistes de l’économie réelle non encore phagocytés par la finance (dont une partie non négligeable d’industriels), par le monde du travail et ses représentants, par les acteurs politiques qui veulent extraire les Etats de la tutelle du marché, par les services administratifs inhérents à l’Etat de droit (justice, police, éducation, santé, etc.,) qui subissent des coupes sèches à leurs budgets et en conséquence une paupérisation galopante, par une agriculture qui perd ses subventions et parallèlement paie le prix de son uniformisation industrielle, par les secteurs des services pénalisés par la « crise » (tourisme, commerce lié à la consommation des classes moyennes, immobilier, industrie des infrastructures, etc.), par toute forme d’activité économique liée à la consommation intérieure, par les transporteurs de biens et des hommes qui n’on pas financiarisé leurs revenus, etc.
Pour tous ceux qui affirment que nos sociétés vivent au dessus de leurs moyens, il suffirait de leur indiquer, en facteurs absolus, que la concentration capitalistique financière tournant le dos à l’économie et la vie réelle représentent plus de 70% de la masse monétaire mondiale, que plus de 90% de cette masse est estampillée dette mondiale, et que donc ce n’est pas les sociétés qui vivent au dessus de leurs moyens mais que ces moyens sont concentrés et monopolisés par une infime partie de l’économie et ses serviteurs. Pourrait-on aussi rétorquer que la masse monétaire de la dette est constituée essentiellement de ses intérêts et que ces derniers s’accroissent tant que la crise perdure.
A suivre…