Article source du site d'Agoravox écrit par Aldous
En 1932 Aldous Huxley publiait "Le meilleur des mondes", l'anticipation d'un monde dirigé par une infime élite où la majorité des hommes, divertis et intoxiqués ne se rendaient même plus compte de la privation de liberté qui était la leur. En 1959, il reconnaissait s'etre trompé, mais uniquement sur la date d'instauration de ce cauchemar : tout se produisait bien plus vite que dans sa fiction. Nous vivons aujourd'hui les prémices d'un Nouvel Ordre Mondial que nos élites nous promettent sans hésiter qu'il sera le meilleur des mondes.
Le 11 septembre 1990, le président Georges Bush sénior s’adressait au congrès des Etats-Unis dans un discours marquant un changement radical dans la politique étrangère des USA et dont le but était de faire naitre ce que le président américain nomma pour la première fois le Nouvel Ordre Mondial :
« Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment exceptionnel et extraordinaire. (…) De cette période difficile, notre cinquième objectif, un Nouvel Ordre Mondial, peut voir le jour : une nouvelle ère, moins menacée par la terreur, plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête de la paix. Une ère où tous les pays du monde, qu’ils soient à l’Est ou à l’Ouest, au Nord ou au Sud, peuvent prospérer et vivre en harmonie. (…) Aujourd’hui, ce nouveau monde cherche à naître. Un monde tout à fait différent de celui que nous avons connu. »
Onze année, jour pour jour après ce discours, les évènements du 11 septembre 2001 faisaient entrer, via son fils, les USA dans une guerre contre le « terrorisme » permettant à son fils, G. W. Bush de changer radicalement la face du monde aussi bien à l’étranger qu’au sein des USA.
Le 14 septembre 2001, G.W. Bush décrétait l’état d’urgence aux USA et mettait le pays dans une situation d’exception en faisant adopter les « Patriot Acts » et des lois d’exceptions connues sous le terme « Continuity of Government » lui permettant de s’affranchir des conventions internationales et de la constitution. L’enlèvement, la détention dans des camps sans procès et de torture devinrent des pratiques courantes. En dépit des scandales comme celui d’Abou Grahib, l’état d’exception perdure et même le président Obama ne peut fermer Guantanamo.
[... ...] à ces conflits non résolus viennent s’ajouter de profondes crises affectant non plus seulement l’économie et l’industrie mais aussi la haute finance, les dettes souveraines, les ressources naturelles et, de façon encore plus dramatique depuis Fukushima, l’environnement.
La promesse du président Bush d’un Nouvel Ordre Mondial assurant prospérité et harmonie aux peuples des quatre horizons de la planète est loin d’être une réalité. Au contraire les conflits se multiplient, même si par la magie de la communication les guerres se parent de vertus humanitaires, apportant, selon les médias mainstream, la démocratie dans leurs bombes.
Si les USA ont appris quelque chose du Vietnam c’est qu’en période de guerre, il est important de maitriser les médias. Ce n’est donc pas dans les médias officiels qu’il faut aller cherche l’information qui nous permettra d’analyser et de comprendre ce qui se joue sur le théâtre géostratégique contemporain.
Depuis que les USA sont en situation de puissance unipolaire, l’information la plus pertinente réside dans les documents émanant du cercle de prise de décisions stratégique des USA, comme le pentagone et le Security Council.
C’est ce qu’a fait Thomas Barnett, professeur en géostratégie au US Naval War College et il a publié le résultat de ses études dans un livre intitulé « The Pentagone New Map ».
En se basant sur les documents officiels qu’il a compilé Barnett expose la stratégie qui découle de la doctrine du Nouvel Ordre Mondial et qui lui permet de dessiner ce qu’il appelle la « Nouvelle Carte du Pentagone » :
On comprend que pour les stratèges US le monde se divise en deux :
Le « Core » (cœur) du monde globalisé constitué des pays occidentaux, de la Russie, de la Chine, de l’Afrique du sud et du sud-est de l’Amérique.
Le « Gap » (fossé) des pays non intégrés au système globalisé ce qui représente presque tous les pays des tropiques, l’Afrique, le proche orient, la Corée du nord, les Balkans et la Turquie.
On peut constater une corrélation très forte entre les zones de conflit récents et la zone du « gap » des pays non-intégrés au système globalisé.
Barnett analyse cette carte à la lumière de la doctrine monopolaire mise en place par les USA.
Paul Wolfowitz , secrétaire à la défense sous Bush père et fils, l’a résumée ainsi :
« Notre premier objectif est de prévenir la re-émergence d’un nouveau rival, que ce soit sur le territoire de l’ancienne Union soviétique ou n’importe où, qui présenterait une menace comparable à celle de l’ancienne Union soviétique. Ceci est le souci dominant qui sous-tend la nouvelle stratégie de défense régionale et requiert que nous nous engagions à prévenir tout pouvoir hostile de dominer une région dont les ressources pourraient, s’il en prenait contrôle, s’avérer suffisantes pour en faire une puissance globale. Ces régions comprennent l’Europe, l’Extrême-Orient, les territoires de l’ancienne Union soviétique, et l’Asie du Sud-Est.
Il y a trois aspects additionnels à cet objectif :
Premièrement, les USA doivent faire preuve du leadership nécessaire pour établir et garantir un NouvelOrdre Mondial apte à convaincre les compétiteurs potentiels qu’ils ne doivent pas aspirer à un rôle régional plus important ni prendre une posture plus agressive pour défendre leurs intérêts légitimes.
Deuxièmement, dans les zones de non-défense, nous devons représenter suffisamment les intérêts des pays industrialisés de manière à les décourager de concurrencer notre leadership ou de chercher à renverser l’ordre politique et économique établi.
Enfin, nous devons conserver les mécanismes de dissuasion des compétiteurs potentiels qu’ils soient tentés de jouer un rôle régional plus important ou un rôle global. »
La Nouvelle Carte du Pentagone reflète précisément la poursuite de ces objectifs :
Les pays qui ne sont pas intégrés au Nouvel Ordre Mondial doivent être contraint à le faire par la force ou par la déstabilisation du régime. La Yougoslavie, fidèle à la doctrine de non alignement de Tito, en a fait la première la cruelle expérience. Les pays arabes du pourtour méditerranéen sont en train de suivre. Les pays disposant de ressources susceptibles de leur permettre de mener une politique régionale, voire globale, concurrente, doivent être combattus. Ces ressources sont bien sûr le pétrole et les richesses minières mais aussi ceux disposant de fonds souverains ou d’armes puissantes.
Les pays vassaux, intégrés au sein du Nouvel Ordre Mondial, sont maintenus à un niveau excluant qu’ils puissent jamais devenir des compétiteurs des USA. En signe d’allégeance, ils doivent harmoniser leurs systèmes économique, judiciaire et politique en vue d’une intégration plus poussée permettant leur gouvernance par l’élite mondiale.
La démocratie parlementaire représentative au sens du XVIIIe siècle n’est plus d’actualité.
Le Nouvel Ordre Mondial implique que les questions politiques importantes soient exclues du débat public au prétexte de la « bonne gouvernance » selon l’expression retenue par Javier Solana dans la « stratégie européenne de sécurité » qu’il a fait ratifier par le Conseil Européen le 12 décembre 2002.
Les élections n’auront dès lors plus d’autre effet que de permuter un personnel politique spin-doctorat, sans que les peuples n’aient d’influence réelle sur l’orientation politique du pays.
En échange de cette abdication en faveur d’une « bonne gouvernance » les citoyens devront bénéficier d’un ensemble de dispositions juridiques supposées permettre « Un monde où les états reconnaissent la responsabilité commune de garantir la liberté et la justice. Un monde où les forts respectent les droits des plus faibles. » selon G. Bush Sénior (discours fondateur du NOM).
Ce substitut de démocratie est incarné en UE par la Cours Européenne des Droits de l’Homme mais aussi par les principes de non discrimination qui permettent de remettre en question la valeur du suffrage universel.
La « stratégie européenne de sécurité » de Javier Solana va plus loin, il a amené l’UE à adhérer sans réserve à la stratégie interventionniste des USA, faisant sienne la lutte contre le terrorisme, contre les armes de destruction massive et autres habillages qui ont permis d’enterrer l’autodétermination des peuples et le principe de souveraineté des états.
Ce virage n’a pas été accepté sans réticence en Europe. On se souvient du qualificatif de « vieille Europe » par lequel Rumsfeld a exprimé le fait que ceux qui faisaient de la résistance n’avaient pas compris que les temps avaient changé.
Il y a aussi un passage de la « stratégie européenne de sécurité », dont l’importance n’a pas été comprise à l’époque, justifie par avance la fin des états pour cause de déliquescence, passage qui résonne étrangement à l’heure de la crise des dettes souveraines. Voici ce que Javier Solana écrivait en 2002 :
« Déliquescence des États : La mauvaise gestion des affaires publiques, la corruption, l’abus de pouvoir, la faiblesse des institutions et le non-respect de l’obligation de rendre des comptes et les conflits civils rongent les États de l’intérieur. »
Javiez Solana a intitulé ce rapport « Une Europe sure dans un monde meilleur ».
Le « meilleur monde » que nous promettent les tenants du Nouvel Ordre Mondial a des similitudes avec celui qu’Aldous Huxley a décrit dans son roman éponyme en 1932.
« Le meilleur des mondes » décrit ce que serait la dictature parfaite : une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader. Un système d'esclavage où, grâce la consommation et au divertissement, les esclaves « auraient l'amour de leur servitude ».
Les similitudes avec la société contemporaine sont déjà édifiantes. Celles avec le régime du Nouvel Ordre Mondial pourrait l’être encore plus.
La déliquescence des états est le passage obligé pour faire migrer définitivement le pouvoir des états aux mains de la gouvernance mondiale.
Les crises financières et monétaires vont permettre de réaliser cette prophétie auto-réalisatrice, discréditant l’ancien système et permettant à la théorie de la « bonne gouvernance » de se substituer aux états parlementaires « déliquescents ».
Ce basculement ne se fera pas qu’en Europe, car il implique l’effondrement du dollar qui constitue la base des principaux fonds souverains à travers le monde.
Pour rappel, le Fonds Souverain des Emirats Arabes est de 627 Milliards de $, celui de l’Arabie Saoudite de 415 M$, ceux de la Chine totalisent 1000M$.
Par comparaison, le fonds souverain des USA est inférieur à 50 M$.
Aux USA, la constitution et les pouvoirs du Congrès sont déjà limités par 10 années d’état d’urgence.
Les disposition de Continuity of Government prévoient qu’en cas de crise financière ou monétaire la FEMA (et en pratique le Pentagone) prendrait les rênes du pays en lieu et place des autorités civiles dans tous les domaines de la vie, financier, industriel, civique, éducatif etc.
L’hypothèse de la dévaluation massive du dollar, consécutive au crack obligataire qui se produirait si les USA ne pouvaient refinancer leur dette à l’expiration du QE2 en juin 2011 est maintenant considérée comme très réaliste par les experts financiers.
Objectivement, la chute du $ aurait des avantage stratégiques indéniables pour les USA. Du jour au lendemain les fonds souverains concurrents se retrouveraient vidés comme des ballons de baudruche.
En interne, la situation politique serait chaotique mais les mesures d’urgence permettant d’imposer l’ordre existent et seraient activées en toute légalité.
La crise serait telle que les institutions classiques seraient toutes impuissantes.
Heureusement, nos élites nous ont habitué à penser que les organismes supranationaux comme le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale, l’Institution Financière Internationale, l’Organisation Mondiale du Commerce, l’OSCE, l’UE, le MERCOSUR et l’ASEAN sont les solutions du problème.
D’ailleurs la monnaie mondiale devant succéder au dollar existe déjà. Pour dire vrai il y a même plusieurs prétendants car une véritable bataille a lieu en ce moment pour tirer avantage de son avènement.
Techniquement elle existe déjà : ce sont les Special Drawing Rights (Droits de Tirage Spéciaux) : un panier composé de Dollars, Euros, £ et Yens qui sert d’unité d’échanges aux transactions de la haute finance. En raison de sa composition on lui donne le sobriquet de DEY (Dollar Euro Yen)mais certains avaient proposé qu’on l’appelle le Terra. Sa mise en place est soutenue aux USA par la Single Global Currency Association
La SGCA a publié un libre en 2006 expliquant le processus de mise en place de la monnaie globale :
Le président Russe Medvedev a présenté au sommet du G8 2009 une pièce de cette nouvelle monnaie frappée de la devise « Unity in diversity ».
La mise en place de cette monnaie a été annoncé officiellement lors de ce G20, la véritable question reste : de quel panier sera constitué cette monnaie ?
Il est évident que la limitation du panier au $ Euro, Yen et £ est impossible, les autres devises cherchent donc à se valoriser. Leurs pays respectifs se sont mobilisés et forment ce qu’on appelle les BRICS (Brazil, Russia, India, China, Arabia).
Medvedev a clairement exprimé l’enjeu : il s’agit pour les BRICS de prendre toute leur place dans les futures institutions de la finance mondiale.
Une volonté légitime certes mais en opposition complète avec les objectifs du Nouvel Ordre Mondial tels que théorisés par Donald Rumsfed.
Une révolution mondiale se prépare donc, au sens étymologique du terme, qui verra la fin de la période où le dollar était la monnaie de référence mondiale, mais aussi la fin de la civilisation de l’industrie productiviste dont la consommation exponentielle en ressources naturelles n’est plus soutenable.
Un nouvel ordre mondial est en train de se mettre en place sur le plan financier comme il a déjà disposé ses troupes sur la planète.
Sera-t-il l’empire mono polaire rêvé par les néo-conservateurs ou bien les néo conservateurs n’ont-ils été que l’instrument des forces plus puissantes encore de la finance mondiale qui les ont amené à dessein à planifier cette révolution ?
En tout état de cause, l’Histoire de l’humanité est parvenue à un phase critique et inédite dont le paroxysme approche inexorablement que ce soit par la volonté de quelques puissants ou par la contrainte que la Nature impose à tous.
Ces puissants maitrisent-ils le jeu où se contentent-ils de tirer parti d’une crise systémique de toute façon inexorable ?
Quelle que soit la réponse nous devons nous attendre à changer radicalement nos systèmes de valeurs, nos certitudes et notre vision du monde.
Le meilleur des monde est celui que nous acceptons.
Aldous Huxley écrivait en 1959 « Vingt-sept ans plus tard(…), je suis beaucoup moins optimiste que je l'étais en écrivant Le Meilleur des Mondes. Les prophéties faites en 1931 se réalisent bien plus tôt que je le pensais. (…) Pendant ce temps, des forces impersonnelles sur lesquelles nous n'avons presque aucun contrôle semblent nous pousser tous dans la direction du cauchemar de mon anticipation et cette impulsion déshumanisée est sciemment accélérée par les représentants d'organisations commerciales et politiques qui ont mis au point nombre de nouvelles techniques pour manipuler, dans l'intérêt de quelque minorité, les pensées et les sentiments des masses. Quelles sont ces forces impersonnelles qui sont en train de rendre le monde si peu sûr pour les démocraties, si peu hospitalier pour la liberté individuelle et pourquoi le cauchemar, que j'avais projeté dans le septième siècle après F., a-t-il avancé si vite vers nous ? »
« Dans le Meilleur des Mondes de ma fable, le problème du rapport entre le nombre des humains et les ressources naturelles avait été résolu : un chiffre optimum ayant été calculé pour la population mondiale, il était maintenu, génération après génération. Dans le monde contemporain réel, rien n'a été fait. Au contraire, ce problème devient plus grave et plus redoutable avec chaque année qui passe et c'est dans ce sinistre décor biologique que se jouent tous les drames politiques, économiques, intellectuels et psychologiques de notre époque. »