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« Ouvrons les yeux : l'orientation politique générale imposée avec obstination par Nicolas Sarkozy depuis cinq ans a très peu à voir avec la France réelle. Elle est la projection sur le corps social tout entier du cinéma intérieur de ses propres fantasmes infantiles. (...) Nicolas Sarkozy a enfermé le pays dans la citadelle de son moi assiégé et suspicieux. Il est urgent que la France, pays psychiquement occupé, se libère et retrouve confiance et vitalité. »
Agnès Antoine, philosophe, psychanalyste, EHESS, "La France, un pays psychiquement occupé", Libération, 17 avril 2012[1]
N’ayons aucune crainte. La France, pays effectivement psychiquement occupé et salement secoué par un chef de gang, va se libérer et retrouver confiance et vitalité.
Il lui importe préalablement de franchir et surmonter l’obstacle de l’après présidentielle, période très probablement difficile qui va se jouer sur le triple terrain économique, social et politique.
-Economique, tout d’abord, en raison du choc probable d’une résistance de la finance à une nouvelle équipe gouvernementale perçue comme étant en porte-à-faux avec une idéologie obsolète et une mondialisation orientée « croissance » à laquelle elle est étrangère, sauf à renier ses idéaux.
-Social, ensuite, en raison de la résistance d’une partie de la population à l’alternance au pouvoir (fidèle à une Droite qui se recompose déjà sur les prochains décombres de la coalition UMP), et du refus de tout le monde, face à une généralisation de la crise, d’en accepter les conséquences matérielles dans le quotidien lorsqu’elles deviendront plus visibles.
-Politique, enfin, en raison de l’inadéquation entre une représentation parlementaire et une équipe gouvernementale qui, quelle qu’elle soit, bien qu’elles sachent sans doute qu’elles sont toutes deux condamnées à une perte rapide et entière de légitimité, n’ont peut-être pas encore réalisé qu’elles seront balayées par une nouvelle forme de coup d’Etat jusqu’à ce jour inédite.
C’est qu’en effet nous avons assisté, tout au long du quinquennat qui s’achève et plus particulièrement dans les derniers mois d’accentuation de la crise financière internationale en générale, européenne en particulier, à la mise en place et au développement d’une nouvelle technique de coup d’Etat.
Certes, il ne s’agit plus du modèle malapartien de coup d’Etat « old school » avec junte militaire, lunettes noires, casquettes à fronton, auto blindées et chars postés nuitamment à tous les carrefours, communiqués martiaux et bulletins d’information, interruption des communications et prise de contrôle des points névralgiques que constituent la radiodiffusion, l’usine électrique, les gares et aéroports et la banque centrale. Quoique, précisément, sur ce point, le fil rouge permet précisément de discerner une évolution du dispositif et des méthodes.
Ce nouveau Coup d’Etat dont nous vivons les premiers développements est d’un tout nouveau genre. Il s’agit d’un coup d’Etat que nous proposons de qualifier de
post-moderne, dirons-nous, à l’image du président post-moderne qu’auront été Nicolas Sarkozy en France et les nouvelles autorités installées dans les pays de l’UE au nom des mesures d’urgence économique qu’imposerait la situation de leurs pays respectifs (Grèce, Portugal, Italie, Espagne, pour commencer) entrés successivement dans la zone des cyclones. Voyez ici :
http://www.pauljorion.com/blog/?cat=1
« Certes, comme l’écrit fort justement Julia Cagé,
[1]Standard & Poor’s,
Moody’s et
Fitch ne feront pas tomber le gouvernement français avant les élections du mois d’avril comme elles ont déjà renversé – coups d’Etat postmodernes, économiques et non plus militaires – les gouvernements irlandais, grec et italien.
Certes, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch ne condamneront pas à la défaite le gouvernement actuel comme elles ont inexorablement condamné à la défaite le successeur au sein du parti socialiste espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero. »
Le processus est beaucoup plus subtil, à l’image des réactions inquiètes consécutives à la mise en place d'un outil pour spéculer contre la dette française quelques jours avant le premier tour de l'élection présidentielle, création perçue comme n’ayant peut être rien d'un hasard selon certains analystes ( Marc Fiorentino :
Le 7 Mai la France sera attaquée).
L’explication de ce coup d’Etat qui s’inscrit dans la durée tient au fait que la modification a
déjà eu lieu. Elle entre simplement dans une deuxième phase, plus précise, plus accentuée, rendue plus efficace par l’urgence et l’incertitude des événements à venir, ces élections qui pourraient menacer de bouleverser tout un système fondé sur une mise en œuvre de cette «
stratégie du choc » amplement décrite par Naomi Klein.
[2]
Comme on peut désormais le voir avec du recul, la portée potentielle de l’inflexion des politiques publiques par les agences de notation était en août 2008 – au moment de la faillite de Lehman Brothers dont l’hydre à trois têtes (,
Standard & Poor’s,
Moody’s et
Fitch ) était en partie responsable – insoupçonnée. Trois ans plus tard, en janvier 2012, les exemples espagnol, français, grec et italien suffisent à eux seuls à donner froid dans le dos, sans même qu’il ne soit nécessaire de convoquer les désespoirs irlandais et portugais.
[3]
Pas encore convaincu ? Prenez le temps de visionner cette vidéo :
Pourquoi un Coup d’Etat à venir serait-il donc possible ? Pour la simple raison que ses prémisses sont déjà opérationnelles. Mais surtout pour la simple raison que les puissances financières qui ont pris en main l’Europe et en son sein les économies fragiles qu’elles ont structurellement contribué à naufrager ne vont pas accepter sans réagir de capituler devant un mouvement de transition ou d’alternance démocratique susceptible de vouloir mettre un terme ou infléchir leurs agissements.
Parlons clair : s’il est élu, ou M. Hollande se soumet, ou il se prépare un avenir qui, poussé à l’extrême, serait celui d’une « spirale »
[4] identique dans son essence à cet enchaînement qui a conduit à ce type d’interruption brutale d’un processus démocratique que connaît parfois la vie politique. S'il est réélu, M. Sarkozy s'expose à une stratégie de confrontation avec une société dont l'engagement politique traduira une réaction de rejet qui ira en s'accentuant, nourrissant l'exacerbation assurée d'un conflit politique que viendra attiser la phase à venir de la crise économique dans laquelle la France est désormais entrée.
http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/plans-sociaux-l-p-e-damocl-s-futur-pr-sident-246638
Désireux de réfléchir plus avant sur le bien fondé de cette hypothèse devenue analyse, le lecteur méditera utilement sur cette approche que vient conforter Alain-Marc Rieu dans un article dont la lecture s’impose à ce stade avec les propos qui suivent :
« Contre la solidarité supposée ou réelle des gouvernements conservateurs en Europe, l’arrivée au pouvoir en France d’un gouvernement social-démocrate ouvrirait effectivement un conflit de pouvoir entre le système financier et les gouvernements démocratiques. De fait, il n’est pas dans l’intérêt du système financier, des banques et des gouvernements conservateurs, y compris des Etats-Unis, qu’un tel conflit éclate au grand jour des médias et des opinions publiques. Un conflit ouvert apporterait la preuve que nos sociétés sont désormais au-delà de la démocratie. »
[5]
Ce point n’est-il pas déjà franchi ?
On ne résiste pas au souci de citer ici les premiers termes de l’analyse que donne Pierre Sarton du Joncha (6) lequel écrit fort justement que : « Le retour des tensions sur la liquidité du marché financier européen après l’émission nominale de plus de mille milliards d’euro par la BCE signale le décrochage irrémédiable de la croissance réelle sous une dette mondiale hors de contrôle. Le nouveau président français dépositaire éminent de l’autorité financière des États sera sans délai confronté à des arbitrages radicaux sur l’avenir de l’euro, sur le sauvetage du système financier international et sur la liquidité des échanges internationaux. »
[3] Julia Cagé pour Cartes sur Table,
Acte I : La prise de conscience ou le début de l'hiver occidental, mercredi 22 février 2012, Non Fiction,
[5] La stratégie du trou noir est-elle démocratique ? Alain-Marc Rieu P. 5
Notes complémentaires :
Samedi 14 avril 2012 :
Zone euro : la fin des illusions, par Jacques Sapir, économiste.
« Si l’on ne veut pas que cette crise emporte avec elle tous les acquis sociaux de ces cinquante dernières années et plonge l’Europe dans la misère et le désespoir, il ne nous reste que deux solutions :
- soit on peut renégocier en profondeur, et non à la marge, le Pacte budgétaire, mais il convient de le faire sur la base de mesures unilatérales et en assumant le risque d’une rupture au sein des pays de la zone euro ;
- soit il faudra déconstruire cette dernière, et le plus vite sera le mieux.
Ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy ne sont prêts à l’une ou à l’autre de ces options. L’avenir de la France s’annonce donc fort sombre. »
On se reportera aussi avec intérêt aux contributions collationnées sur Agoravox :